24/03/2021
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Reconstruire en mieux après la COVID-19 : l’importance du suivi des inégalités d’apprentissage

João Pedro Azevedo, économiste principal, Pôle mondial d’expertise en éducation, Groupe de la Banque mondiale et Silvia Montoya, directrice, Institut de statistique de l’UNESCO (ISU)

De notre choix de mesure dépend notre compréhension de la taille et de la nature du problème. Dans un billet de blog récent, nous expliquions pourquoi la mesure de la pauvreté des apprentissages convient bien au suivi des impacts de la COVID-19. Dans ce billet, nous nous pencherons sur deux concepts complémentaires : l’écart de la pauvreté des apprentissages et la sévérité de la pauvreté des apprentissages, afin d’examiner la distribution des pauvres en apprentissage et de mesurer l’incidence de son évolution sur les inégalités d’apprentissage. L’ISU fournit des données sur ces deux concepts. Les données de nombreux indicateurs clés de l’ODD 4 ont été actualisées à l’occasion du rafraichissement des données de mars. L’ISU recueille aussi les données relatives aux réponses nationales à la COVID-19 sur l’éducation, équité et inclusion.

Comprendre l’évolution des inégalités d’apprentissage au moyen de l’écart de la pauvreté des apprentissages, de la sévérité de la pauvreté des apprentissages et des compétences minimales

La pauvreté des apprentissages est un concept simple à comprendre, mais cet indicateur seul est insuffisant pour brosser le tableau du niveau des apprentissages et de leur distribution entre les élèves en dessous du Seuil Minimal de Compétences (SMC). La pauvreté des apprentissages étant un taux d’effectifs scolaires, les estimations traitent tous les élèves en dessous du seuil minimal de compétences comme privés d’apprentissage à égalité. Ce concept ne fait pas apparaître non plus les améliorations dans les apprentissages en dessous du SMC, ce qui prévient la mise en place de mesures incitatives compatibles, car il ne met pas en évidence les progrès réalisés dans les sous-ensembles de compétences élémentaires essentielles pour développer la maîtrise de la lecture, décrites dans l’arc-en-ciel de la lecture (Figure 1) : par exemple, connaitre les mots prononcés et leur utilisation, écouter et reproduire les mots, associer les sons aux lettres et les lettres aux sons tout en apprenant le nom des lettres, etc. Il est primordial de comprendre l’hétérogénéité des pauvres en apprentissage pour lutter contre la pauvreté des apprentissages, car les enfants qui ne maîtrisent pas ces sous-ensembles de compétences durant les premières années du cycle primaire resteront incapables de lire en comprenant ce dont il est question.

Figure 1 : ODD 4.1 Cadre et arc-en-ciel des sous-ensembles de compétences en lecture [N1]

Afin de déceler les évolutions en dessous du SMC, on peut élargir la mesure de la pauvreté des apprentissages à une classe plus générale d’indicateurs sensibles aux inégalités, comme cela a été débattu lors des septièmes réunions de GAML et du GCT. Nous avons examiné les attributs souhaités des mesures proposées et certaines de leurs propriétés axiomatiques dans un document récent. Dans ce billet, nous résumons quelques-unes des principales raisons en faveur de cette famille plus large de mesures de la pauvreté des apprentissages, et nous illustrons sa valeur en nous basant sur deux cas particuliers sensibles à la distribution des apprentissages et aux inégalités potentielles entre les enfants en dessous du SMC, à savoir l’écart de la pauvreté des apprentissages (α = 1) et la sévérité de la pauvreté des apprentissages (α = 2) (Figure 2).

Figure 2 : Mesure sensible à la distribution de la privation d’apprentissage[N2] 

Voici quelques-unes des justifications en faveur de ce choix :

Premièrement, le monde fait face à une crise de l’apprentissage : 53 % des enfants de plus de 10 ans ne savent pas lire ni comprendre un texte simple approprié à leur âge.[1] Dans les pays à revenu faible, le taux de pauvreté des apprentissages des effectifs scolaires avoisine 90 %. Dans ce contexte, il est essentiel d’utiliser une mesure capable de différencier l’ampleur de la crise de l’apprentissage, en examinant à la fois le taux de pauvreté des apprentissages et l’écart de la pauvreté des apprentissages, et d’être en mesure de préconiser des solutions politiques simples.

Deuxièmement, si deux systèmes éducatifs affichent un taux de pauvreté des apprentissages identique, celui qui présente le taux d’apprentissage le plus bas parmi les élèves en dessous du SMC doit être considéré dans une situation plus défavorable, toutes choses étant égales.

Troisièmement, l’apprentissage est un processus cumulatif et progressif et une bonne mesure doit être capable de saisir l’évolution des apprentissages élémentaires acquis aux niveaux inférieurs de l’échelle d’apprentissage. Un tel degré de sensibilité peut aider les décideurs politiques à accorder la priorité aux enseignements de base et contribuer à identifier les progrès que les systèmes éducatifs ont accomplis grâce aux investissements consentis dans les compétences de base.

Quatrièmement, on dispose d’innombrables données probantes qui indiquent qu’enseigner à un niveau trop élevé par rapport aux aptitudes des élèves a un effet négatif sur leur volume d’apprentissage, de sorte qu’une bonne mesure doit pouvoir prendre en compte les connaissances initiales des élèves.[2]

Cinquièmement, une mesure sensible à la distribution laisse apparaître une dimension importante de la complexité du problème : la distribution inégale de l’apprentissage entre les pauvres. Plus l’inégalité de l’écart de la pauvreté des apprentissages est importante, plus le système éducatif doit être flexible à la fois pour identifier les besoins des élèves et pour leur offrir des possibilités d’apprentissage adaptées. Comprendre une telle hétérogénéité peut être un facteur déterminant pour planifier les leçons et/ou concevoir des interventions d’Enseignement au Bon Niveau.

D’autres justifications en faveur de l’utilisation de mesures sensibles à la distribution peuvent être fondées sur les préférences égalitaires d’une société. Ceci suppose que si une société doit choisir d’améliorer la pauvreté des apprentissages entre deux enfants dans les mêmes proportions, elle choisira d’aider celui qui est le plus défavorisé. Plusieurs arguments peuvent appuyer ce jugement de valeur, comme la valeur marginale décroissante de l’alphabétisme et l’importance de la cohésion sociale, mais aussi la croissance économique.

Les mesures différentes, mais complémentaires, du niveau de la pauvreté des apprentissages, de son écart et de sa sévérité sont-elles pertinentes sur d’un point de vue empirique ?

Le degré dépend de la prévalence des pays qui ont :

Le même niveau de pauvreté des apprentissages, mais des écarts différents de la pauvreté des apprentissages (Figure 2, groupe A), ou

les mêmes écarts de la pauvreté des apprentissages, mais des sévérités différentes de la pauvreté des apprentissages (Figure 2, groupe B).

La figure 3 illustre ces points à l’aide des dernières données disponibles de 99 pays de la base de données sur la pauvreté des apprentissages pour lesquels on dispose d’indicateurs sur l’écart et la sévérité de la pauvreté des apprentissages.[3] Elle indique un large éventail d’écarts de la pauvreté des apprentissages entre les pauvres de pays qui ont un niveau similaire de pauvreté des apprentissages (groupe A). Dans plusieurs pays, notamment les Philippines et le Nicaragua, la pauvreté des apprentissages s’élève environ à 70 %, mais l’écart de la pauvreté des apprentissages entre les pauvres des Philippines est presque le triple de celui du Nicaragua. Ceci laisse penser que les efforts nécessaires pour éliminer la pauvreté des apprentissages aux Philippines pourraient être plus importants qu’au Nicaragua.

Mais ce n’est pas tout. Il est également important d’examiner les inégalités ou la sévérité de la pauvreté des apprentissages. Par exemple, la sévérité de la pauvreté des apprentissages au Nicaragua est près de 10 fois ce qu’elle est aux Philippines, ce qui semble indiquer un niveau d’hétérogénéité plus important de l’apprentissage des élèves pauvres en apprentissage au Nicaragua. Cette constatation illustre la pertinence empirique de la distinction entre les mesures du niveau de la pauvreté des apprentissages, de l’écart de la pauvreté des apprentissages et de la sévérité de la pauvreté des apprentissages, ainsi que l’importance de la clarté concernant laquelle de ces trois mesures pourrait être est la plus pertinente quand on analyse différentes situations. En conséquence, les politiques pour réduire la pauvreté des apprentissages pourraient différer considérablement si les niveaux de l’écart de la pauvreté des apprentissages et de la sévérité de la pauvreté des apprentissages sont radicalement différents.

Les pays qui ont un niveau identique de pauvreté des apprentissages, mais dont l’écart de la pauvreté des apprentissages est plus élevé devront faire beaucoup plus d’efforts pour amener les enfants au-dessus du SMC. En même temps, les pays dont l’écart de la pauvreté des apprentissages est identique, mais dont la sévérité de la pauvreté des apprentissages est différente exigeront des stratégies d’apprentissage (et de scolarité) beaucoup plus flexibles afin de mieux ajuster leurs systèmes éducatifs sur les besoins des élèves.

Ils peuvent y parvenir en fixant des objectifs clairs, grâce à la cohérence pédagogique, au soutien des enseignants et à l’importance contextuelle.

Figure 3. Les relations entre la pauvreté des apprentissages, l’écart de la pauvreté des apprentissages, la sévérité de la pauvreté des apprentissages, l’écart de la privation d’apprentissage, et l’écart de la sévérité d’apprentissage

Groupe A. Pays dont les élèves ont le même niveau de pauvreté des apprentissages : ils nécessitent des niveaux très différents d’efforts (écart de la pauvreté des apprentissages).

Groupe B. Pays qui nécessitent le même effort moyen (écart de la pauvreté des apprentissages) : ils ont des niveaux très différents d’inégalité de la pauvreté des apprentissages chez les élèves en dessous du SMC[N3] .

Lors de la réouverture des systèmes scolaires à la suite de leur fermeture prolongée due à la COVID-19, il sera primordial de rencontrer les élèves là où ils sont et de suivre l’évolution de la distribution des apprentissages entre les pauvres, puisque les données probantes semblent indiquer qu’une source importante d’inégalité se trouve au sein de ces groupes. La sévérité de la pauvreté des apprentissages est la mesure appropriée pour mesurer et suivre le problème de l’inégalité au sein d’un groupe. La pertinence et l’utilité de ces mesures complémentaires sont claires d’un point de vue numérique, empirique et politique.

[1]Groupe de la Banque mondiale 2019.

[2] Banerjee et coll. 2016.

[3] Toutes les évaluations d’apprentissage utilisées sont fondées sur un écart type de 100 points ; ceci devrait suffire pour permettre la comparabilité minimale des mesures des indices de Foster-Greer-Thorbecke (FGT). Naturellement, dans le cadre des comparaisons temporelles d’un pays, supposer la comparabilité temporelle des évaluations est le cas idéal. Toutes les mesures de l’écart sont établies par rapport au SMC spécifique du test. Il convient toutefois de noter un aspect intéressant : une fois la conversion de l’écart réalisée, la mesure n’est plus dépendante du test et peut être présentée, quelle que soit l’échelle. Toutefois quand on effectue des comparaisons internationales, une hypothèse commune, qui est partagée avec le suivi mondial de la pauvreté, est que la sensibilité marginale (revenu) de l’apprentissage de la variable cardinale est la même. Ce qui signifie qu’améliorer un point d’apprentissage est dur pour l’égalité ou l’égalité bien saisie dans toutes les évaluations (ou différentes mesures de revenu et de consommation).

 [N1]Learning: Apprentissage

MPL SDG 4.1.1c : SMC ODD 4.1.1c

MPL SDG 4.1.1b : SMC ODD 4.1.1b

MPL SDG 4.1.1a : SMC ODD 4.1.1a

 

Early grade: Début du cycle primaire

End of primary grade: Fin du cycle primaire

Lower secondary: premier cycle du secondaire

Upper secondary: second cycle du secondaire

 

Enjoy books and reading for learning and fun: Aiment lire des livres pour apprendre et pour le plaisir

Comprehend the meaning of all texts read: Comprennent la signification de tous les textes lus

Read longer phrases more fluently: Lisent les phrases plus longues plus couramment

Recognize words more automatically: Reconnaissent les mots plus automatiquement

Understand how letters can be used to write any word: Comprennent comment utiliser les lettres pour écrire des mots

Maps sounds to letters and learn letter names: Associent les sons aux lettres et apprennent à écrire leur nom

Hear and make word sounds: Écoutent et reproduisent les sons des mots

Build oral language ability: Développent leurs compétences linguistiques orales

Grade/Time progression: Progression scolaire/dans le temps

 

Learning poverty threshold: Seuil de pauvreté des apprentissages

Foundational skills: Compétences fondamentales

 

 [N2]Learning Curve: Courbe d’apprentissage

Performance : Performance

(Learning Deprivation Gap) : (Écart de la privation d’apprentissage)

Learning Deprivation Severity: Sévérité de l’écart de la privation d’apprentissage

MPL : SMC

(Minimum Proficiency Level) : Seuil minimal de compétence

Time: Temps

 [N3]Learning Poverty vs Learning Poverty gap: Pauvreté des apprentissages par rapport à l’écart des apprentissages

Learning Poverty Gap (%): Écart de pauvreté des apprentissages

Learning Poverty: Pauvreté des apprentissages

Learning Poverty Severity (%): Sévérité de pauvreté des apprentissages

Learning Poverty Gap (%): Écart de pauvreté des apprentissages

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